Notre-Dame d'Atocha (Espagne, Madrid)

Notre-Dame d'Atocha
 (Espagne, Madrid)

 

Cette Image de la Mère de Dieu est une des plus célèbres de l'Espagne, et les auteurs qui en ont écrit l'histoire ou les merveilles, tout en avouant qu'on ne peut déterminer d'une manière précise l'époque à laquelle son culte a commencé, reconnaissent cependant que ce culte remonte à la plus haute antiquité.
Il en est qui conjecturent que son origine date de l'année 431, époque où fut célébré le concile d'Ephèse contre l'impiété de Nestorius, patriarche de Constantinople, qui osait refuser à Marie le titre de Mère de Dieu : ils croient que les Espagnols des environs de Madrid, jaloux de se montrer vrais catholiques, de témoigner leur obéissance au saint Concile et leur tendre dévotion pour Marie, fabriquèrent cette Image et gravèrent sur le bois dont elle fut formée le mot grec Theotocos qui signifie Mère de Dieu ; d'où vient, disent-ils, que dans d'anciens livres ou dans les anciens monuments, cette Image miraculeuse est appelée Vierge Theotoca.
Il faut avouer, cependant, que le plus grand nombre des auteurs espagnols regardent cette image comme bien plus ancienne : on veut qu'elle soit l'ouvrage de saint Luc, ou que, du moins, elle ait dû jadis ses couleurs au pinceau du saint Evangéliste, qui, pour exciter parmi les fidèles la dévotion envers la Mère de Dieu, aurait laissé dans plusieurs contrées l'Image de la Vierge sainte.
C'est, dit-on, de saint Pierre, que des auteurs respectables assurent être venu en Espagne, ou de quelqu'un de ses disciples, que l'antique Ibérie a reçu ce don précieux.
On lui bâtit une petite chapelle dans le quartier de Madrid, nommé depuis la Vega, et on lui rendit un culte qu'elle montra, par des témoignages éclatants de protection, lui être agréable.
On assure de plus, que saint Idelphonse, cet illustre serviteur de la Mère de Dieu, qui mérita de recevoir de ses mains un vêtement d'une blancheur éclatante, pour récompense du zèle avec lequel, élevé sur le siège de Tolède en 657, il s'empressa de combattre et d'extirper l'hérésie qui attaquait le privilége de sa perpétuelle virginité, avait une si tendre dévotion pour Notre-Dame d'Atocha, qu'il la visitait fréquemment, qu'il offrait de la cire et de l'huile pour le service de son sanctuaire, et que dans une lettre dont font mention de graves auteurs et qu'on prétend se conserver dans les archives de Tolède, il invitait un prêtre de Saragosse à venir lui rendre de pieux hommages.
Après la mort de saint Idelfonse, les fidèles continuèrent à honorer l'antique Image, et à recevoir du ciel, par son moyen, des faveurs signalées, jusqu'à l'époque fatale où le Seigneur, irrité contre les peuples d'Espagne, les laissa tomber sous la domination des Maures d'Afrique.
Ces barbares s'étant rendus maîtres de Tolède, s'avancèrent jusqu'au voisinage de Madrid, qui devait être dès-lors une place-forte, puisqu'on assure que les peuples de la contrée ne se rendirent qu'à condition de conserver quelques églises où le culte s'exercerait en toute liberté : ces églises furent, dans l'intérieur de Madrid : Saint-Martin et Saint-Ginès, et au-dehors, les chapelles de Sainte Croix et de Notre-Dame d'Atocha.
Parmi les dévots de Notre-Dame d'Atocha, se trouvait un homme de condition, nommé Garcia Ramirez, qui avait coutume de sortir fréquemment de l'enceinte de la ville et d'aller prier aux pieds de la dévote Image, sans que la crainte des Maures où l'inquiète surveillance qu'ils exerçaient sur ceux qui se distinguaient par leur ferveur et leur zèle, pût comprimer l'élan de son cœur généreux.
Bien plus, pour satisfaire à ses pieux désirs avec plus de liberté, il s'établit avec son épouse et ses deux filles dans un bourg nommé Ribas, sur le bord de la Xarama.
De là, il allait plus souvent encore prier aux pieds de l'Image, gémir sur l'état déplorable où l'Espagne était réduite, et solliciter pour elle le retour des miséricordes du Seigneur.
Quatre ans s'étaient écoulés déjà depuis qu'il adressait au ciel de ferventes prières par l'entremise de la Vierge, lorsqu'un jour, entrant à son ordinaire dans l'antique sanctuaire, il s'aperçut que la statue, objet de la vénération commune, n'était plus dans sa niche.
Son cœur est d'abord navré de douleur.
Il se met à chercher dans l'église et dans les environs l'objet de sa dévotion.
Ne le trouvant pas, il forme diverses conjectures qui nourrissent son inquiétude et la rendent de plus en plus vive.
La nation infidèle qui fait sentir à sa patrie sa tyrannique oppression, aurait-elle porté sur l'antique Image une main sacrilège ? Dieu, dans sa colère aurait-il voulu ajouter à tant d'autres châtiments qu'il infligeait à son peuple, celui de le priver de cette Image consolatrice ? Marie, peu satisfaite de sa ferveur et de ses prières, aurait-elle été chercher dans une autre contrée des serviteurs plus zélés pour son culte ?
— Ramirez, occupé de ces pensées, cherchait avec persévérance l'Image de la Vierge, quand tout-à-coup il la découvre au milieu d'un buisson sur une de ces collines qui dominent la Vega de Manzanares, du côté du nord, au lieu même où elle reçoit aujourd'hui les hommages des fidèles.
Comment avait-elle été transportée de son antique demeure en ce lieu ? on l'ignore ; mais on crut, et avec fondement, que cette translation était surnaturelle.
A la vue de l'Image chérie, le pieux Castillan, plein de la plus vive joie, descend de cheval, se jette à genoux et remercie la Reine du Ciel de ce qu'elle n'a point abandonné son peuple dans son affliction. Il lui dit en épanchant son cœur avec le sentiment d'une douce confiance :
« Comment se fait-il, Reine du Ciel, que vous quittiez le sanctuaire que vous avait élevé la piété de nos ancêtres, pour choisir un asile en ce lieu désert, au milieu du feuillage ? Serait-ce pour nous faire entendre que nous aussi, peuple opprimé, nous devons souffrir avec patience les maux qui pèsent sur nous et la tyrannie qui nous dépouille de tout ? Ah ! faites-nous connaître votre bon plaisir et vous ne trouverez que des cœurs dociles. »
Il prie, il réfléchit, et il croit entendre une voix intérieure qui lui dit que Marie veut être honorée en l'endroit où elle a fait transporter son Image.
Le pieux cavalier prend aussitôt la résolution de bâtir en ce lieu une chapelle, et, après avoir caché de son mieux sous les rameaux et le gazon la statue, il se dirige vers sa maison, résolu d'exécuter au plus tôt son religieux dessein.
De retour chez lui, il fait part à sa pieuse famille de ce qui vient de se passer, il en instruit ses amis et les fervents chrétiens du voisinage.
Tout le monde d'applaudir au projet qu'il a formé, de vouloir y prendre part avec un empressement et une générosité qui répondent du succès.
On se met donc à l'œuvre, on commence de creuser les fondements d'un sanctuaire que le malheur des temps et la pauvreté des fidèles ne permettaient pas de rendre aussi magnifique que l'eussent demandé leurs pieux désirs et |la grandeur de celle à qui on devait le consacrer.
Cependant, les Maures s'étant aperçus que les chrétiens travaillaient au nouvel édifice, en conçurent des soupçons. Le nom de chapelle n'était qu'un prétexte à leurs yeux, c'était une citadelle, une place forte qu'on voulait construire pour résister à leur tyrannie.
Ce qui leur inspirait surtout de l'appréhension, c'était la valeur bien connue de Garcia et le concours que lui prêtaient quelques soldats chrétiens, jaloux eux aussi de coopérer à la bonne œuvre.
Ils prennent donc les armes, résolus de dissiper les ouvriers et de détruire jusqu'aux vestiges de la prétendue forteresse.
Garcia est instruit de tout et il se voit combattu par différentes pensées. Opposera-t-il la résistance à l'aveugle fureur des ennemis ? Sa valeur et la bonté de sa cause semblent lui en faire un devoir.
Mais, d'un autre côté, la disproportion des forces, la crainte d'augmenter encore plus la colère des Maures et l'inutilité de tout ce qu'il peut faire pour repousser la violence, lui conseillent de déposer le glaive et de mettre tout en œuvre pour adoucir les Barbares.
Mais, se dit-il encore, comment les fléchir ? Le tigre ne perd jamais sa férocité.
La statue de Marie, son sanctuaire commencé, l'honneur de mon épouse et de mes filles ne sauraient trouver grâce devant des cœurs fermés également à la piété et à l'humanité.
Ne prenons conseil que de notre désespoir. Le ciel nous viendra en aide.
— Les bataillons maures l'enveloppaient déjà ; les cris précurseurs du combat se faisaient entendre ; le cliquetis des armes retentissait au loin.
Garcia, fort de sa confiance en Dieu et en la Vierge sainte, s'élance à la tête d'une poignée de braves sur les flots d'ennemis qui l'entourent, les combat, les renverse ou les dissipe, et remporte la victoire la plus complète.
Profitant de son avantage en habile capitaine, il s'avance vers Madrid à la tête de sa troupe victorieuse qui s'accroît à chaque pas de généreux chrétiens que le bruit de son triomphe amène sous son étendard ; il s'empare de cette place, y met garnison, et jouit quelques années de sa conquête.
Mais enfin, pressé par des forces supérieures, il consent à céder Madrid aux Maures, à condition qu'il pourra librement, lui et "les siens, rendre de pieux hommages à Notre-Dame d'Atocha dans son sanctuaire : condition qui fut observée durant tout le temps de la domination des Arabes en Espagne.
Garcia, plein de joie et de reconnaissance pour la victoire remportée par lui, effet de la protection de la Vierge sainte, victoire qui parait avoir eu lieu l'année 720, ne cessa, toute la suite de sa vie d'honorer sa toute puissante bienfaitrice dans son Image miraculeuse ; dévotion qu'il légua, comme un précieux héritage, à sa postérité.
Cette dévotion se conserva, dans le pays, comme un feu caché sous la cendre, tant que la tyrannie des Maures pesa sur l'Espagne.
Mais enfin arrivèrent les temps marqués dans les célestes conseils pour l'expulsion de ces impies dominateurs et la délivrance de la Castille.
Dieu se servit pour opérer cette heureuse révolution, du bras d'Alfonse VI, qui, l'an 1085, fit la conquête de Tolède, et bientôt étendit son pouvoir sur les places voisines et jusque sur Madrid.
Un tableau qui orne l'église de Notre-Dame d'Atocha rend témoignage de la dévotion de ce prince ; on y lit ces paroles : « Les rois de Castille ont été fort dévots à cette sainte Image. Don Alfonse VI, qui enleva Madrid aux Maures, pour faire connaître ses pieux sentiments, fit hommage à la chapelle de Notre-Dame d'Antioche de l'étendard royal porté devant lui le jour de sa victoire et de celui qu'il avait pris aux ennemis : ces glorieux trophées sont encore suspendus dans la chapelle, et l'étendard royal offrait une Image de Notre-Dame parsemée de châteaux et de lions. »

Au temps d'Alfonse VI, Notre-Dame d'Atocha reçut donc des honneurs publics, et son culte qui, sous la tyrannie des Maures, s'était enveloppé d'ombre et de mystère, parut alors au grand jour, et s'exerça en toute liberté.
Les grands et les petits du peuple de Dieu lui présentaient à l'envi leurs hommages.
Saint Isidore le Laboureur, la gloire et le protecteur de Madrid, se montra durant sa vie plein de zèle pour l'honneur de la Mère de Dieu, dans ce sanctuaire.
La Providence le fit naître à cette époque de restauration et de liberté.
Il venait fréquemment visiter le sanctuaire de Notre-Dame d'Atocha, et dans la ferveur de son humble piété, il y entrait à genoux et offrait l'hommage d'un cœur pur et orné des dons les plus précieux de la grâce.
Lorsqu'il voulut s'engager dans le mariage, il vint implorer ses lumières, et ce fut en conséquence du langage que Marie lui fit entendre au cœur, qu'il prit pour épouse une illustre servante de Dieu, qui eut depuis, comme lui, l'honneur d'être proposée au culte des fidèles (Sainte-Marie de la Gabeza).
Saint Isidore, non content de se montrer pendant sa vie zélé dévot de Notre-Dame d'Atocha, voulut se survivre en quelque sorte à lui-même, et lui témoigner sa vénération et son amour après sa mort (1130).
Dans ce sentiment, il régla que la confrérie par lui établie dans la paroisse de Saint-André, irait tous les ans, en procession, rendre hommage à Notre-Dame d'Atocha, ce qui se pratiqua depuis avec autant d'édification pour le peuple que de bénédictions et d'avantages spirituels pour les membres de cette pieuse association, jusqu'à l'époque fortunée où les peuples d'Espagne secouèrent le joug de leurs oppresseurs et recouvrèrent leurs anciens droits.
La sainte épouse d'Isidore rivalisait de zèle avec lui pour le culte de la Vierge.
On lit dans les Actes des Saints que, dans les informations qui furent faites pour sa canonisation, grand nombre de témoins affirmèrent qu'elle s'était associée à son mari dans sa dévotion à Notre-Dame d'Atocha ; qu'elle l'accompagnait dans les stations qu'il faisait de grand matin, avant de se mettre au travail, visitant ce célèbre sanctuaire et les ermitages des environs, et terminant ses pieux pèlerinages par celui de Notre-Dame d'Almudena, autre Image antique qu'on vénère dans la grande église de Madrid : qu'ils allaient aussi prier, en d'autres temps, dans les autres églises de la ville et des environs.
L'exemple des deux saints époux donna comme un nouvel essor à la dévotion qu'on avait déjà pour Notre-Dame d'Atocha.
L'église de Notre-Dame d'Atocha fut, pendant quelques années, desservie par des chapelains qui y célébraient l'office divin avec la piété et l'édification convenable : mais, dans la suite, les dons généreux et les fondations que les fidèles offraient à la Vierge sainte en reconnaissance des faveurs qu'ils en avaient reçues, ayant considérablement enrichi ce sanctuaire, don Juan, troisième archevêque de Tolède, depuis que cette ville avait secoué le joug des Maures, jaloux de donner un nouvel éclat au culte de Notre-Dame d'Atocha, fit don de cette église et de toutes ses possessions au prieur et aux chanoines réguliers de Sainte-Léocadie de la Vega de Tolède.

Ceux-ci la possédèrent jusqu'à l'année 1523, époque où elle passa entre les mains des religieux de saint Dominique.
Le zèle de cet ordre célèbre pour l'honneur de la Mère Dieu ne leur laissa rien négliger de ce qui pouvait contribuer à la splendeur du culte et à l'accroissement de la dévotion.
L'église fut agrandie et ornée avec magnificence, et, jusque dans ces derniers temps, elle est demeurée confiée aux soins des mêmes religieux.
Notre-Dame d'Atocha est à un quart de lieue de la ville, dans l'enceinte du vaste couvent des Dominicains, où l'on va par une très-belle allée couverte.
Elle joint le bout du parc du palais de Buen-Ritiro, dont les jardins sont un des plus beaux embellissements de Madrid.
L'église n'a rien de bien remarquable ; mais la chapelle de la Vierge était autrefois ornée avec une magnificence extraordinaire.
Cette chapelle, sombre par sa structure, était éclairée par plus de cent grosses lampes d'or ou d'argent qui brûlaient jour et nuit.
Là, les fidèles serviteurs de Marie, réunis en grand nombre, offraient des vœux ardents dont ces lampes toujours enflammées étaient le symbole naturel et expressif.
Voici la description de la dévote Image, que nous empruntons à l'historien des sanctuaires de Marie en Espagne, en abrégeant son récit.
Cette Image est faite d'un bois incorruptible ; on ne saurait trop déterminer lequel : aussi, malgré sa haute antiquité, la sculpture n'a-t-elle éprouve aucune dégradation sensible. Elle a près d'un mètre de hauteur : toutefois, avec le piédestal d'ivoire et d'ébène sur lequel elle repose, elle semble avoir, lorsqu'on la couvre d'habits longs, une vare et demie (mesure castillane d'un mètre).
La Vierge est assise sur un fauteuil du même bois, dans une attitude d'autorité et de majesté. Elle tient un petit Enfant Jésus appuyé sur le côté gauche, et de la main droite elle lui offre un livre et un fruit.
C'est par là que saint Idelfonse désignait cette antique statue dans l'écrit adressé à un chanoine de Saragosse dont nous avons parlé ci-dessus.
La Vierge et l'Enfant sont, pour la couleur, d'un brun foncé et tirant sur le noir : le temps les a dépouillés de leur lustre, et, jusqu'à un certain point, de leur vernis.
Des peintres habiles ont essayé quelquefois de reproduire cette Image ; mais jamais ils ne l'ont fait d'une manière satisfaisante.
L'ensemble du visage est fort agréable et parfait dans ses proportions. Il est un peu oblong. Les yeux sont grands, bien fendus, élevés avec majesté, joyeux, sereins et tout à la fois graves et modestes, de sorte qu'ils commandent en même temps le respect et l'amour. Les sourcils sont bien arqués, le nez aquilin, le front découvert ; les joues ont une teinte de rose ; la bouche est petite et les autres traits bien en rapport. On dirait son regard si vif et si attentif, qu'en quelque lieu de la chapelle qu'on se mette à genoux pour prier, elle regarde ceux qui la regardent, et semble récompenser ainsi avec une gracieuse délicatesse l'affection de ses serviteurs.
Des religieux cependant, et même des séculiers, ont assuré que souvent ils n'osaient pas lever les yeux sur elle, parce qu'il leur semblait que la sainte Image leur reprochait, dans son langage muet, leur tiédeur et leur peu de reconnaissance.
Sur sa tête elle porte une couronne d'un doigt de hauteur du même bois que le reste du corps, et elle appuie ses pieds sur un escabeau haut de quatre doigts, sur lequel retombe son manteau. Son vêtement, d'un rouge terne, est bordé comme d'un cordon de pierres précieuses : le manteau ressemble à un tissu d'or, parsemé de fleurs de lis, obscures en certains endroits, brillantes en quelques autres, avec des reflets de lumière qui tiennent de l'azur et du jaune, et qui offrent des nuances très vives. Le fauteuil ou trône, sur lequel la Vierge est assise, est couvert d'or et de fleurs : du côté gauche, on y remarque quelques anciens caractères, sur lesquels on a beaucoup discouru sans en conclure rien de bien positif.
Telle est l'idée que le P. Villafanne nous donne de cette célèbre Image considérée en elle-même, et indépendamment de tout ce que les rois catholiques, les princes et les grands d'Espagne y avaient ajouté de pierres précieuses, de bijoux, de riches ornements, tant pour satisfaire leur propre dévotion que pour reconnaître les bienfaits nombreux qu'ils avaient obtenus en priant à ses pieds.
D'autres auteurs, parlant de ce qu'était Notre-Dame d'Atocha avant les troubles politiques qui ont dépouillé tant de sanctuaires, nous apprennent que les richesses de cette Image, en or, en pierreries, en dentelles, en étoffes somptueuses, étaient prodigieuses.
Autour de sa tête brillait un soleil aux rayons éblouissants.
On l'habillait souvent en veuve ; mais, dans les grandes solennités, elle était magnifiquement vêtue et couverte de pierreries, comme une reine.
C'était toujours une des plus grandes et des plus riches dames qui avait le titre de sa dame d'atour, et qui n'épargnait ni peine ni sacrifices pour la parer d'une manière qui répondit à l'attente commune.
L'Atoche était tellement la grande dévotion de Madrid et de toute la Castille, que c'était devant cette Image que s'offraient les vœux, les prières, les remerciements publics pour les nécessités et les prospérités du royaume, et dans les cas de maladie du roi et de sa guérison.
Les rois d'Espagne, depuis un temps immémorial, n'entreprenaient jamais de voyage sans aller prendre congé de Notre-Dame d'Atocha, et, au retour , ils ne manquaient jamais de la visiter pour remercier la Reine des cieux de la protection qu'elle leur avait accordée et lui en demander la continuation.
La famille royale d'Espagne s'était ménagé une tribune dans cette chapelle : c'est là qu'elle aimait à se rendre les jours de fête, le dimanche et même dans la semaine, quand quelque dévotion particulière était célébrée avec bénédiction du Saint-Sacrement, le soir. Elle y venait de Madrid, sans cérémonie, sans entrer dans l'église ou dans le couvent, au moyen d'un corps de logis placé en dehors, qui l'introduisait dans la tribune.
Parmi les princes qui se sont distingués par leur affection pour Notre-Dame d'Atocha, on nomme l'empereur Charles V, les rois catholiques Philippe II, Philippe III, Philippe IV, Charles II, Philippe V, Charles IV et Ferdinand VII.
L'église de Notre-Dame d'Atocha a ressenti le contrecoup des troubles et des révolutions qui, depuis le déchaînement de l'impiété, ont agité l'Europe.
Pendant la guerre de l'indépendance, le couvent et l'église furent détruits, et la statue de la Vierge fut transportée à l'église de Saint Thomas.
Ferdinand VII qui avait une tendre dévotion pour elle, à son départ pour la France, lui offrit sa bande de Charles III et la suspendit à sa poitrine.
Ce n'était pas encore assez pour satisfaire sa tendre et généreuse piété : il céda aux PP. Dominicains quelques titres ou quelques domaines qu'il avait en Castille, et leur donna ses bijoux et ses croix ornées de pierres précieuses, leur recommandant de les vendre et de rebâtir, avec les sommes qu'ils en retireraient, le couvent et l'église ruinés : ses royales intentions furent remplies avec une religieuse exactitude : ces deux monuments de l'antique foi furent rétablis avec assez de splendeur et de magnificence.
Ce même souverain se faisait un devoir, suivant la coutume de ses ancêtres, de visiter tous les samedis au soir, accompagné des membres de sa royale famille, l'Image de Notre-Dame dAtocha.
Dans les derniers troubles qui ont de nouveau affligé l'Espagne, les pieux enfants de saint Dominique ont été arrachés à son sanctuaire chéri et ils ont partagé le sort de tant de religieux condamnés à la dispersion ou à l'exil.
Du moins, cette fois, il reste à leur zèle et à leur patience un sujet de consolation : le génie destructeur de la révolution n'a pas encombré de nouvelles ruines le sanctuaire de la Vierge et la demeure de ses serviteurs : le couvent est devenu un hôtel d'invalides, et l'église est restée debout et en possession de l'antique Image.
La spoliation des édifices religieux, qui a produit des richesses immenses, est si loin d'avoir contenté la soif de l'impiété ! Il faut encore en ce moment que les fidèles pourvoient par leurs aumônes à l'entretien du culte de la Vierge.
Les traits de protection, les bienfaits éclatants accordés par Notre-Dame d'Atocha aux populations, ainsi que les faveurs spéciales obtenues par des particuliers, sont en quelque sorte innombrables.
Contentons-nous d'en citer deux ou trois pour l'honneur de la Vierge sainte et l'édification de ses serviteurs.
Au commencement de l'année 1275, le territoire de Madrid était affligé d'une grande sécheresse : on touchait à la fin de mars, et l'on ne voyait point arriver ces pluies printanières si nécessaires dans les pays méridionaux pour faire lever et croître les moissons.
Le peuple, dans son affliction, eut recours au ciel : il employa le crédit de divers intercesseurs dont il connaissait le pouvoir, sans rien obtenir de la puissance divine.
Entre autres dévotions qui se pratiquèrent, les habitants d'Illescas, ville de la nouvelle Castille, à six lieues de Madrid, portèrent respectueusement une Image de la Reine des Anges jusque dans le sanctuaire de Notre-Dame d'Atocha, demandant, par de ferventes prières, la cessation de la sécheresse, sans réussir toutefois à fléchir la colère divine.
Les citoyens de Madrid eurent recours à un autre genre de dévotion. Ils prirent dans la paroisse de Saint André le corps de saint Isidore laboureur, mort en 1130 et préservé depuis ce temps de la corruption, et le portèrent en procession à Notre-Dame d'Atocha, espérant que son crédit et celui de la Vierge sainte ferait descendre du ciel la pluie si désirée.
Un Religieux de saint François monte en chaire, excite le peuple à la pénitence et fait passer dans les cœurs les sentiments de ferveur dont il est lui-même animé.
Le ciel étant toujours d'airain sur sa tête, il s'étonne, et, dans un saint transport où l'on croit reconnaître une inspiration d'en haut, il ordonne qu'on tire de sa châsse le corps du serviteur de Dieu et qu'on le place en suppliant aux pieds de Notre-Dame d'Atocha.
La chose s'exécute à l'instant. Le corps de saint Isidore, enseveli depuis près d'un siècle et demi, était encore assez flexible pour qu'on pût le mettre à genoux en face de la célèbre Image.
A cette vue, le peuple fidèle se sent pénétré de la plus vive confiance ; il ne croit pas que Dieu puisse lui refuser une grâce qui est sollicitée auprès de Marie par son pieux serviteur Isidore, qui tant de fois est venu dans ce lieu lui offrir des vœux si ardents, et auprès de Jésus par Marie, patronne de ce sanctuaire.
Et, en effet, le ciel, jusque là serein, se couvre de nuages, la pluie descend sur la terre, féconde la campagne, de sorte que la récolte fut la plus abondante qu'on eût vue depuis plusieurs années.
Le peuple bénit le Seigneur qui avait exaucé si miséricordieusement les prières de sa sainte Mère et de saint Isidore, et là se vérifièrent d'une manière éclatante ces paroles du prophète royal : Euntes ibant et flebant mittentes semina sua: venientes autem ventent cum exultatione portantes manipulos suos. »
L'an 1562, le prince D. Carlos, fils de Philippe II, fut récompensé de la dévotion spéciale qu'il avait à Notre-Dame d'Atocha.
Le prince se trouvant à Alcala, et voulant descendre précipitamment un escalier, fit une chute et se blessa tellement à la tête, que sans les prompts remèdes qu'on lui appliqua, il eût été sur le point d'expirer.
Cette nouvelle, apportée aussitôt à Madrid, remplit de douleur et de confusion toute la cour, surtout le roi, qui, dans un accident aussi terrible qu'inopiné, recourut à Marie, et ordonna qu'on portât en procession l'Image vénérée de Notre-Dame d'Atocha.
La statue qui, depuis plusieurs siècles, n'avait point paru en public, fut donc transportée de la chapelle au palais, et, par un effet de la bonté divine, au moment même où elle quitta le seuil de son sanctuaire, l'état du prince s'améliora.
Le lendemain, on apporta chez lui les reliques de saint Diego d'Alcala, et le mieux s'accrut de telle sorte, qu'il fut bientôt entièrement guéri.
Des dons magnifiques témoignèrent la part que la Vierge sainte avait eue dans cette guérison, et la reconnaissance dont la cour était pénétrée : le prince lui offrit un crucifix d'or d'une grande valeur, la reine Isabelle de Valois un ornement complet en brocart, relevé par de riches broderies, et la princesse Jeanne, qui fut depuis mère de l'infortuné roi don Sébastien, une grande image en argent de saint Dominique de Guzman.
La reine D. Isabelle reconnut par son expérience personnelle le pouvoir de Notre-Dame d'Atocha.
Les chaleurs de l'été lui causèrent une fièvre cruelle qui mit sa vie en danger et que les remèdes ne pouvaient chasser : dans cette extrémité on eut recours à la Vierge de ce sanctuaire pour laquelle la reine avait une dévotion spéciale.
On la tira de son église, et on la porta processionnellement dans la chapelle du palais. Elle y resta neuf jours durant lesquels elle était continuellement entourée de religieux et de séculiers qui sollicitaient avec ferveur la guérison de la reine.
Leurs vœux furent exaucés.
Dès l'instant même où la Statue avait quitté son sanctuaire, la malade avait commencé à se trouver mieux.
Ce mieux se soutint et s'accrut de telle sorte qu'en peu de jours elle recouvra une parfaite santé.
Dès qu'elle fut en état de se lever, elle s'empressa de rendre visite à sa céleste bienfaitrice, et elle lui témoigna sa reconnaissance en revêtant la statue et ses autels de riches brocarts et en y ajoutant une multitude d'autres dons.
Un Allemand nommé Christoval Jansen, qui avait séjourné quelque temps en Espagne, fut pris par les pirates d'Alger et passa 17 ans dans une dure captivité.
Il avait pour maitre un capitaine africain nommé Aydar.
Celui-ci reçut ordre du Dey ou prince d'aller couper du bois dans une forêt de la côte, pour la construction d'un brigantin.
Aydar part sur une galiotte (petite galère) avec soixante quinze Algériens et quatre vingts esclaves chrétiens.
Parmi ces esclaves se trouvait Jansen qui toujours résolu de saisir, si elle se présentait, l'occasion de recouvrer sa liberté, avait averti secrètement ses compagnons de s'armer de leur mieux et de se préparer à sortir d'esclavage.
On était à quelques lieues d'Alger, lorsque les Maures, fatigués sans doute, se laissèrent aller au sommeil sans trop de précaution.
Jansen, fort dévot à Notre-Dame d'Atocha, se jette à genoux et la supplie de lui être favorable dans le projet qu'il a formé de mettre fin à son long et dur esclavage, il se relève avec intrépidité ; il donne le signal à ses compagnons.
A l'instant, les uns s'emparent des haches et des autres instruments qui devaient servir à couper le bois, les autres tirent de dessous leurs habits des couteaux qu'ils ont cachés, ou enlèvent à leurs gardiens leurs propres armes, et tous fondent à l'improviste sur les Algériens surpris et épouvantés.
L'issue du combat ne pouvait être douteuse : les infidèles sont tués ou faits captifs.
Le capitaine lui-même se constitue prisonnier, et les chrétiens, ayant rendu à Notre-Dame d'Atocha de justes actions de grâces, ne songent plus qu'à s'éloigner de la côte barbare d'Afrique pour se réfugier en Espagne.
D'abord timides et incertains, ils stationnent, la nuit, là où ils se trouvent : au point du jour, à leur grand regret, le vent qui s'élève les pousse vers Alger.
C'est en vain qu'ils luttent contre sa violence : ils sont entraînés vers cette ville, où ils ne peuvent s'attendre, après le coup qu ils ont tenté, qu'à trouver la mort la plus cruelle. Déjà la crainte a glacé les cœurs des chrétiens, ils se repentent de l'action généreuse que leur a fait entreprendre l'amour si noble et si légitime de la liberté.
Le brave Jansen ranime leurs espérances ; il leur représente que la Vierge sainte, par le secours de laquelle ils ont remporté une glorieuse victoire, ne laissera pas son œuvre imparfaite, et il les exhorte à recourir de nouveau à sa puissante intercession.
Les chrétiens se jettent à genoux et invoquent à grands cris Notre-Dame d'Atocha.
Leurs prières sont exaucées.
A une lieue d'Alger, le vent change subitement : ils s'éloignent à la hâte de ce repaire de brigands et de pirates, ils doublent l'île Ivice, et abordent heureusement à Va lence.
Le bruit de ce mémorable évènement se répand dans toute l'Espagne.
Le roi Philippe II les appelle à l'Escurial : ils s'y rendent en effet, conduisant comme captifs ces mêmes Africains, dont, peu de jours auparavant, ils étaient eux-mêmes esclaves, et ils font paraitre Aydar, leur capitaine, devant le roi, qui les accueille avec bonté, et leur fait des présents dignes de sa magnificence.
Ils se rendent de là à l'église de Notre-Dame d'Atocha, déposent devant l'autel de leur Libératrice les chaînes et les fers dont sa puissance les a délivrés, et lui rendent les actions de grâces que méritent les grandes faveurs qu'ils en ont obtenues.
Un acte authentique assura la vérité du fait, que garantit aussi un tableau où le trait était représenté et qui fut déposé dans la chapelle comme un monument qui devait en rappeler le souvenir aux générations les plus reculées. 


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