Sainte HILDEGONDE, de l'ordre de Citeaux, née à Nuitz (diocèse de Cologne) dans le 12e S., fut emmenée par son père dans un pèlerinage qu'il se proposait de faire à la Terre-Sainte ; il avait fait prendre à sa fille le nom de Joseph, et l'avait cachée sous des habits d'homme.
Il mourut en route, et Hildegonde fut confiée aux soins d'un voyageur, qui, arrivé à Jérusalem, la dépouilla entièrement l'abandonna à la misère.
Hildegonde mendia son pain, et attendit que le ciel prit ses maux en pitié.
Elle
fut reconnue par un de ses parents, revint en Europe, parcourut
l'Italie, l'Allemagne, et, sans reprendre les habits de son sexe, se
présenta et fut reçue à l'abbaye de Schonauge, sous le nom de Frère Joseph.
On ne s'aperçut de son sexe qu'après sa mort, qui eut lieu en 1188.
Les martyrologes de l'ordre de Citeaux et de St-Benoit placent sa fête au 20 avril ; mais l'Église n'a point autorisé sa canonisât.
La vie de cette sainte, par Raderus, est la plus estimée.
Nous
ne pouvons pas accorder notre admiration à toutes les actions de cette
Sainte, quoique nous ne puissions la refuser à sa vie considérée dans
son ensemble.
La Providence
sait conduire ses élus par toutes sortes de voies, et s'il se présente
de temps en temps des choses que nous ne pouvons expliquer, nous devons
nous en prendre à l'état borné de notre intelligence et adorer les
décrets de Dieu en silence et avec un cœur plein de foi.
Hildegonde
naquit, avec sa sœur jumelle Agnès, de parents nobles, qui avaient leur
résidence à Neuss, sur le Rhin, dans l'archevêché de Cologne.
Par
suite d'un vœu que leurs parents avaient formé à cause de leur longue
stérilité, elles furent toutes deux consacrées au Seigneur, dans un
couvent de femmes situé dans leur ville natale.
Leurs
parents avaient promis en même temps de faire un pèlerinage à Jérusalem
; mais leur mère mourut à Neuss, en odeur de sainteté, avant de pouvoir
accomplir son vœu, mais non sans y avoir suppléé par de riches aumônes.
Cependant les deux filles étaient devenues grandes, et leur père se prépara à son départ pour la Terre Sainte.
Après
avoir fait prendre le voile à Agnès, il commença avec Hildegonde le
pèlerinage qui faisait parti de son vœu, et, afin de pouvoir voyager
plus commodément, il fit prendre à sa fille des habits d'homme avec le
nom Joseph, qu'elle devait garder tout le temps du voyage.
Ils
traversèrent heureusement la France ; ils s'embarquèrent sur les côtes
de la Provence avec les croisés ; mais le gentilhomme tomba malade sur
mer, et sentant sa fin prochaine, il donna à sa fille les instructions
nécessaires pour l'époque où elle serait de retour dans sa patrie, lui
recommanda de bien garder le secret de son déguisement et invoqua sur
elle la protection du Tout-Puissant.
Après
avoir reçu tous les sacrements, il confia son prétendu fils Joseph à la
surveillance d'un serviteur, qu'il regardait comme un homme d'honneur,
lui remit tout son argent comptant, et le pria fortement d'avoir
toujours devant les yeux la mémoire de son père.
Il mourut, et Joseph continua son voyage avec son domestique, qui était à la fois son intendant et son tuteur.
La
traversée fut heureuse, ils se rendirent à Jérusalem, visitèrent le
saint Sépulcre et tous les autres lieux remarquables par quelque mystère
relatif à l'incarnation de Jésus-Christ, et retournèrent à Acre, où le
serviteur infidèle prit la fuite, emportant avec lui tout ce que
possédait le malheureux Joseph et ne lui laissant pas même un cheval.
Dans
cette affreuse situation il aurait sans doute succombé au désespoir,
sans sa confiance dans la bonté divine et dans le secours qu'il espérait
en recevoir.
Il reprit courage, et avant la fin du jour Dieu, à qui il avait
recommandé sa vie et sa virginité, lui amena un étranger qui en eut
compassion, le consola, pourvut à ses besoins, et le ramena à Jérusalem.
Dans
la ville de Dieu, l'œil du Seigneur resta ouvert sur le pieux pèlerin,
qui, pour ne pas être à charge plus longtemps à son bienfaiteur, se fit
recevoir chez les Templiers ; il y trouva un asile assuré, ainsi que les
moyens de satisfaire sa piété en visitant sans contrainte et sans
obstacle les saints lieux.
Une
année s'étant passée de cette manière , on vit arriver dans le temple
un étranger, venant des bords du Rhin, pour prendre , disait-il, des
informations relativement à un gentilhomme de Neuss , dont il se disait
parent et ami.
Comme on savait que Joseph était de ce pays, on le lui présenta.
Il s'ouvrit à lui, lui disant qu'il était le fils de ce gentilhomme,
qu'il avait perdu son père pendant la traversée, et qu'à Acre
l'infidélité de son domestique l'avait privé de tout ce qu'il possédait.
L'étranger,
qui se rappelait que son ami s'était fait accompagner d'un de ses
enfants, engagea Joseph à retourner en Allemagne avec lui.
Mais il tomba malade dans les contrées du Rhin, et mourut des suites des fatigues de son voyage.
Hildegonde
conserva son déguisement même à Cologne, où, malgré le grand nombre de
visites qu'elle fut obligée de faire, elle eut le bonheur de ne pas se
voir découverte.
Un chanoine lui offrit une demeure, qu'elle accepta, et où elle se retira en 1185.
La sœur de cet ecclésiastique était religieuse dans le couvent des
Bénédictines de Ste. Ursule, qui fut appelé dans la suite couvent des
SS. Macchabées.
Vers
ce temps elle fut élue abbesse par les suffrages unanimes de ses sœurs,
à l'exception de ceux, qui avaient donné leurs voix à la nièce de
l'archevêque Philippe de Heinsberg, laquelle d'ailleurs n'avait pas
l'âge requis pour cette dignité.
Ce
prélat ayant confirmé la nomination illégale de sa nièce, le chanoine
crut devoir s'adresser au Saint-Siège, se prépara à faire un voyage à
Rome, et invita Joseph à l'accompagner, à cause de la connaissance qu'il
possédait des lieux, des hommes et de leur langage.
Ce dernier fit tout ce qu'il put pour ne pas devoir se rendre à cette
invitation ; car il craignait de s'exposer à de nouveaux dangers et de
tenter une seconde fois la Providence ; mais il se vit forcé de céder
aux instances de son ami.
Ils commencèrent leur voyage en 1186, suivant les bords du Rhin, par Mayence et la Souabe.
Comme
il y avait à Augsbourg plusieurs vassaux de l'Empereur Frédéric I, qui
était en guerre avec la cour de Rome, ils firent un détour, et passèrent
la nuit dans le village de Zusamhausen ou Zusmershausen.
Le lendemain ils se remirent en route de grand matin.
Comme ils n'avaient qu'un cheval, et que c'était le tour du chanoine de
le monter, Joseph suivait à pied, un bâton à la main, dans lequel
étaient enfermés les papiers pour Rome.
Dans une forêt, qui se trouvait sur leur chemin, Joseph fut joint par
un brigand que les archers poursuivaient et qui mit à ses pieds un
paquet en le priant de le lui garder quelques instants.
Joseph, qui ne connaissait pas cet homme, et qui savait encore moins
que le paquet renfermait les objets volés pour lesquels il était
poursuivi, lui rendit le service qu'il demandait ; mais les archers
trouvèrent l'étranger assis au milieu du chemin, le visitèrent, et,
persuadés qu'ils tenaient le voleur, le maltraitèrent et le Conduisirent
à Zusmershausen, pour y être puni selon les lois.
Il est jugé et condamné à la corde ; mais le prêtre, qu'il avait fait venir, lui sauva la vie, en déclarant qu'il était innocent.
Le vrai coupable est arrêté, mais il nie tout et il est décidé qu'on aura recours à l'épreuve du feu.
Joseph
la soutint avec honneur, et le coupable fut pendu. Il est probable que
pendant ce temps le chanoine avait fait dans le voisinage des recherches
pour trouver son compagnon, car son histoire rapporte, que Joseph,
après sa mise en liberté, continua sa route pour le rejoindre.
Mais les parents du supplicié l'attaquèrent dans le bois, le pendirent à
un arbre et se sauvèrent en toute hâte, pour échapper au glaive des
lois.
Quelques bergers, heureusement, aperçurent l'infortuné, le détachèrent
encore à temps et lui donnèrent tous les secours que son état exigeait.
Il
poursuivit son chemin, et rattrapa au bout de quelques jours son
compagnon qui avait déjà renoncé à tout espoir de le retrouver.
Pleins
de terreur et d'étonnement, inspiré par cette singulière aventure, ils
rendirent des actions de grâces à l'Être qui les avait sauvés, ils
dirigèrent leurs pas vers Vérone , où le Pape Luce III faisait alors sa
résidence, comme ils l'avaient appris à Cologne.
Lorsqu'ils apprirent sa mort, arrivée déjà au mois de Novembre de
l'année précédente, ils se rendirent à Rome, auprès du nouveau Pape
Urbain III, qui désigna Rabodon, évêque de Spire, juge dans cette
affaire.
Ils
retournèrent en Allemagne sans perdre de temps ; mais à leur arrivée à
Spire ils trouvèrent l'évêque absent : il assistait alors, à ce qu'il
paraît, à la diète convoquée à Nuremberg, vers la fin de Décembre 1186.
Le
chanoine voyant que son affaire ne se terminerait pas de sitôt, résolut
d'attendre dans sa ville natale le retour de Rabodon, et chargea Joseph
de faire avec le conseil épiscopal de Spire les arrangements
nécessaires pour terminer ce procès.
Mais
Hildegonde apprenant la mort de sa sœur Agnès, qui, comme nous le
savons, s'était faite religieuse à Neuss, pensa sérieusement à déposer
enfin le rôle dont elle s'était chargée par l'ordre de son père, et à ne
s'occuper que du soin de son salut.
Il fallait attendre cependant le retour du chanoine et la décision de cette affaire.
Cependant
Joseph prit sa demeure chez une pieuse matrone, nommée Mathilde, qui ne
fit pas difficulté de le recevoir chez elle, soit qu'il lui eût révélé
son secret, soit qu'elle eût cru pouvoir se placer au-dessus de tout
soupçon.
Joseph allait assidûment à l'église de S. Maurice, et assistait régulièrement aux instructions qui s'y donnaient.
Il était bien fait, son maintien était plein de noblesse et de dignité,
il était doué d'une douceur sans pareille et sa piété était sincère et
sans affectation.
Cela n'empêcha pas que, dans la ville, on ne critiquât beaucoup Mathilde, de loger chez elle cet étranger.
Un
gentilhomme nommé Berthold, qui venait de se convertir à la foi
chrétienne, et qui se proposait de prendre l'habit dans quelque couvent,
rechercha l'amitié de Joseph, et lui proposa de demander l'un et
l'autre à être reçus au couvent de Schônau, de l'ordre de Cîteaux, non
loin d'Heidelberg.
Ce
n'étaient pas les vœux qui effrayaient Hildegonde, car depuis longtemps
elle était morte au monde, mais c'était la pensée de s'enfermer dans un
couvent d'hommes.
D'un autre côté, il lui en coûtait, soit par pudeur, soit par tout autre motif, de divulguer son secret.
Elle eut à supporter un long et vif combat, après lequel elle sentit en
elle-même une voix puissante, qui l'engageait à se rendre aux désirs de
Berthold, et, fermement résolue de garder son secret toute sa vie, elle
alla à Schônau, pour accomplir ses projets.
Joseph
prit l'habit en 1187 et retint son nom. La douceur de sa voix et la
noblesse de toutes ses manières décelaient quelque chose
d'extraordinaire ; mais la force qu'elle montrait en s'acquittant de
tous les devoirs domestiques et dans les exercices de pénitence les plus
sévères, aurait suffi pour dissiper tous les soupçons, s'il avait pu
s'en élever.
Elle
faisait les ouvrages de main avec une rare précision, et comme elle
était d'une constitution un peu faible, on ne pouvait assez admirer sa
persévérance dans les travaux les plus pénibles.
Elle offrait en même temps le spectacle de toutes les vertus
monastiques, car elle sentait dans son cœur un désir irrésistible pour
s'élever au plus haut degré de perfection.
Malgré
cela elle eut à combattre de fortes tentations, qui firent souvent
naître en elle la pensée de déposer l'habit et de prendre secrètement la
fuite.
Un
jour même elle en forma la résolution, et elle l'eût exécutée, si elle
n'eut découvert la plaie de son cœur à son supérieur, ainsi qu'à un
novice, qui était prêtre du diocèse de Cologne, et qui, dans la suite,
écrivit son histoire.
Cet aveu cependant, loin de calmer l'orage, ne fit que l'accroître.
Mais
elle ne perdit pas courage, le Tout-Puissant la soutint par l'effet de
sa grâce vivifiante, et elle marcha à grands pas dans la carrière
pénible de la vertu.
Elle
finit pourtant, dans son trouble, par ôter l'habit, mais elle se vit
arrêtée par une violente hémorragie, qui fut le commencement de sa
prochaine dissolution.
Pendant tout le carême elle se prépara à la mort, elle reçut tous les sacrements et mourut le 20 Avril 1188.
Ce ne fut qu'après sa mort qu'on découvrit son secret.
On
se procura les renseignements nécessaires en envoyant des circulaires à
tous les couvents des provinces voisines, et on se convainquit que
Joseph n'était autre, qu'Hildegonde, qui avait quitté Neuss quelques
années auparavant.
SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.
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