Saint Auxibe († 112)

Saint Auxibe († 112)
Évêque et confesseur


Saint Auxibe était natif de Rome, issu de parents fort riches, mais adonnés au culte des faux dieux.

Il n'avait qu'un frère, nommé Thémistagore, bien différent d'Auxibe en mœurs et eu toutes ses actions ; car Auxibe était d'un naturel débonnaire, honnête et civil, mais sur tout grandement chaste : vertu qui est la base de toutes les autres, avec l'humilité : aussi Auxibe était-il accompli dès son jeune âge en toutes sortes de perfections.

Son père et sa mère le reconnaissant d'un caractère docile, et capable de parvenir un jour à quelque degré d'honneur, ne manquèrent pas d'avoir un soin particulier de le bien élever et de l'instruire en tout ce que la sagesse et la prudence humaine requiert.

Étant parvenu à un âge capable de mariage, ils voulurent lui donner un honnête et riche parti, et l'avancer de tout leur possible aux honneurs et aux dignités.

Mais Auxibe, ayant ouï souvent parler de Jésus-Christ, aspirait au christianisme, et élevait son esprit encore plus haut qu'aux honneurs mondains ; de manière qu'il ne voulait point ouïr parler de cela, jugeant qu'une femme et le tracas d'un ménage lui seraient autant d'obstacles pour le détourner et l'empêcher de son saint dessein.

Cependant ses parents, qui ne désiraient rien tant que de voir leur fils avancé, le pressaient fort et le voulaient comme forcer : son père se servait de menaces, et sa mère usait de belles paroles pour l'y obliger : tellement que ne sachant que faire pour les contenter, et ne voulant pas toutefois leur découvrir sa pensée, d'autant que c'eût été bien pis, il prit résolution de s'enfuir, et de sortir de Rome.

Il fit donc provision d'argent, et de ce qui lui pouvait être nécessaire, qui toutefois fut portatif, et s'embarquant sur mer, il vint à Rhodes, et de là dans l'île de Chypre, en un village nommé le Port, afin de s'y rafraîchir.

Ce village est environ à quatre lieues de la ville de Soles : Dieu par sa divine providence y amenant le bienheureux Auxibe pour le salut de plusieurs.

En ce même temps, il arriva que saint Barnabé et saint Marc annonçant l'Évangile de Jésus-Christ en ce pays-là, saint Barnabé fut martyrisé à Constance, que l'on appelait autrefois Salamine ; et comme l'on cherchait saint Marc pour lui (aire un pareil traitement, il s'enfuit avec Timon et Rhodon et vinrent jusqu'au Port, où ils firent rencontre d'Auxibe, nouvellement arrivé do Rome, qu'ils trouvèrent fort affectionné à la religion chrétienne ; mais il n'avait pas encore reçu le baptême.

Saint Marc s'étant informé qui, et d'où il était, et de la cause de sa fuite, et l'ayant trouvé fort disposé à recevoir le baptême, le baptisa au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et lui donna le Saint-Esprit par l'imposition des mains : et après l'avoir instruit dès mystères de la foi, et de la façon qu'il devait tenir pour annoncer la parole divine, il l'ordonna prêtre, et lui commanda de prêcher l'Évangile à Soles, ville de Chypre : « Allez-y mon fils, lui dit-il, d'autant que cette ville est abandonnée au culte des faux dieux, et qu'elle n'a jamais été éclairée de la lumière de l'Évangile, prenez garde à ce que je vais vous dire : « Faites en sorte que l'on ne vous reconnaisse pas pour chrétien en ce commencement, mais faites semblant d'être de même religion qu'eux, vous insinuant prudemment en leur familiarité ; ainsi vous pourrez, avec le temps, les disposer par vos bons discours et votre bonne vie à recevoir la doctrine évangélique. »

Saint Marc lui ayant donné ces instructions et plusieurs autres semblables touchant la prédication de l'Évangile, le laissa là seul, et s'en alla avec Timon et Rhodon en Alexandrie.

Il y avait, proche d'une des portes de la ville, du côté de l'occident, un temple de Jupiter, où demeurait un prêtre profane, pour faire les sacrifices selon qu'il était ordonné.

Auxibe, passant par là, fut aperçu par ce prêtre, qui à sa mine, le reconnaissant être étranger, l'invita charitablement en son logis, où il le traita fort humainement et lui fit bonne chère ; et après cela, il lui demanda qui il était, d'où il venait, et où il allait ?

Auxibe lui fit réponse qu'il était Romain, que s'étant résolu de voir le pays, sa curiosité l'avait porté à voir la ville de Soles, qu'on lui avait dit être une ville fort belle et fort agréable.

Alors ce prêtre lui fit offre de son logis pendant qu'il la verrait. Auxibe voyant la grande franchise et la courtoisie de ce prêtre, jugea qu'il ne la devait pas refuser : de manière qu'il demeura quelque temps avec lui sans lui faire paraître qu'il fût chrétien, ainsi que saint Marc l'avait averti ; considérant d'ailleurs, que le diable se transformant en ange de lumière afin de précipiter plus facilement dans les ténèbres ceux qui lui prêtent l'oreille, il pouvait bien au contraire feindre d'être méchant avec les méchants, pour les retirer des ténèbres et les éclairer de la lumière céleste.

Ainsi donc, s'étant peu à peu familiarisé avec ce prêtre, il fit si bien, tant par sa doctrine que par sa sainte vie, qu'il lui fit reconnaître la vérité, et lui fit quitter et détester les sacrifices des faux dieux, pour adorer le vrai Dieu ; de sorte qu'il se mit sous la discipline d'Auxibe, qui, redoublant son zèle et son affection à publier le nom de Jésus-Christ par un si heureux succès, allait et venait librement en la ville, où il se comportait de la même manière qu'il avait fait envers ce prêtre, prêchant avec adresse la parole de Dieu, et faisant toujours sa retraite dans ce temple avec ce sacrificateur.

Saint Marc étant allé à Alexandrie, y convertit et baptisa un grand nombre de gentils, puis alla trouver l'apôtre saint Paul et lui raconta ce qui était arrivé à saint Barnabé en la ville de Constance, et comme il avait baptisé et ordonné le prêtre Auxibe, qu'il avait trouvé près de Soles, où il l'avait envoyé pour annoncer la parole de Dieu, et qu'il n'y avait point d'apôtre ni d'évêque en Chypre.

Saint Paul écrivit à l'archevêque Héraclides, et lui commanda d'ordonner des évêques aux villes où il jugerait être à propos, et entre autres d'ordonner Auxibe évêque de Soles, où il travaillait fort à l'avancement de la foi de Jésus-Christ.

Aussitôt qu'Héraclides eut reçu les lettres de l'apôtre saint Paul, il alla chercher Auxibe, qu'il trouva dans ce temple de Jupiter, et, lui ayant fait entendre qu'il était envoyé vers lui de la part des apôtres, il lui dit qu'il était temps de paraître et de mettre la lumière sur le chandelier, afin d'éclairer ce pauvre peuple aveuglé des ténèbres de l'idolâtrie.

Il l'ordonna donc évêque de cette ville-là, lui disant qu'il ne devait pas avoir appréhension des supplices et des tourments, d'autant que le martyre était une marque des disciples de Jésus-Christ, auxquels il avait dit, qu'il les envoyait comme des brebis entre les loups ; qu'au reste il ne devait pas se mettre en peine de ce qu'il prêcherait, puisqu'il avait encore donné cette assurance à ses apôtres et à ses disciples, que le Saint-Esprit les enseignerait et leur suggèrerait tout ce qu'ils devaient dire.

Après lui avoir tenu ces discours, et lui avoir lui-même donné quelques instructions des mystères de notre foi, il le mena en la ville, où il lui montra et lui marqua la place pour bâtir une église, et puis l'ayant recommandé à Notre-Seigneur, il prit congé de lui.

Alors saint Auxibe mit courageusement la main à l'œuvre, et fit bâtir promptement une église, qu'il dédia ; puis, y entrant, il se mit à genoux, faisant sa prière à Dieu avec abondance de larmes, lui demanda la grâce, la force et le courage de prêcher sa parole à ce peuple idolâtre pour le convertir, et lui faire connaître son erreur, en adorant Jésus-Christ seul et vrai Dieu.

Après avoir fait sa prière, il s'en alla à la place publique, où il y avait une grande multitude de peuple, et s'adressant à eux hardiment : « Mes frères et amis, leur dit-il, je vous prie d'ouvrir les yeux de votre entendement et de reconnaître dans quel abîme de ténèbres vous êtes plongés, adorant des statues de pierre et de bois faites de la main des hommes. Elles ont bien une bouche, mais elles ne parlent point; des yeux, mais elles ne voient point; des oreilles, mais elles n'entendent point, et ne flairent point le sacrifice qu'oa leur offre ; de plus elles ne représentent que des créatures abjectes, qui se sont souillées dans les vices et les brutalités pendant qu'elles étaient en ce monde. Quittez, quittez ces fausses déités, et adorez Jésus-Christ, seul et vrai Dieu, que je vous annonce maintenant. C'est le créateur de tout l'univers, celui qui peut perdre et sauver vos âmes, le conservateur et le refuge de tous ceux qui croient en lui. »

Il leur tint ces discours, et après leur avoir plus ouvertement parlé des mystères de la foi, une grande multitude se convertirent et crurent en Jésus-Christ, et ce qui les obligeait encore à croire la doctrine qu'il leur prêchait, c'était les miracles que Notre-Seigneur faisait par ses mains ; car il guérissait tous les malades qui se présentaient à lui, chassait les diables des possédés, et le tout au nom de Jésus-Christ, en faisant le signe de la croix sur eux.

De sorte que le bruit de ses miracles attira tous les malades des environs de la ville, que l'on amenait vers lui, et qui s'en retournaient sains et gaillards, les guérissant tous en faisant le signe de la croix, ce qui obligeait un chacun à se faire baptiser.

La splendeur de la sainteté du saint prélat Auxibe se répandant de toutes parts, donna jusqu'à Rome, où Thémistagore, qui avait épousé une vertueuse femme nommée Timo, entendant parler de la vie vertueuse et exemplaire que menait Auxibe, son frère, touché d'un saint désir de se faire chrétien, le vint trouver à Soles avec sa femme, où ils embrassèrent la foi chrétienne par les bons avis de leur frère, qui leur donna le baptême et les ordonna tous deux diacres pour servir à l'Église, après s'être séparés l'un de l'autre par un mutuel consentement, afin de servir Dieu avec plus de pureté et plus de liberté.

II y avait un autre Auxibe en un certain village nommé Solopotamie, qui,ayant nouvelle des merveilles qui se faisaient – par notre saint prélat, vint à Soles se jeter à ses pieds et lui demanda le baptême.
Il fut fort semblable à saint Auxibe, dont il portait le nom, car depuis qu'il eût reçu le baptême, il ne le quitta jamais, et il s'efforça tellement d'imiter toutes ses vertus et vécut avec une telle sainteté de vie, que saint Auxibe se reconnaissant proche de la fin de ses jours, l'élut pour son successeur.
Enfin ce saint prélat ayant gouverné l'Église de Soles cinquante ans avec une admirable sainteté, et une entière virginité qu'il garda toute sa vie, se voyant près de la mort, fit assembler tout son clergé, et lui ayant fait une belle exhortation, l'invitant à demeurer ferme et constant en la foi, à garder les traditions qu'il avait apprises de lui, et à honorer celui qu'il lui laissait pour évêque et pasteur ; il prit la main de l'autre Auxibe, qui était celui qu'il avait élu pour lui succéder en sa place, et lui dit : Mon frère Auxibe, Dieu par son ineffable bonté vous a élu prêtre, ayez soin du troupeau de Jésus-Christ, qu'il a racheté de son propre sang.Ayant dit cela, le jeune évêque, son disciple, donna le baiser de paix à toute la compagnie.
Le troisième jour après, qui fut le dix-neuf de février, ayant recommandé son troupeau à Dieu, et donné sa bénédiction à tout le peuple qui était accouru pour le voir, il rendit heureusement son âme à Dieu.

Son corps fut mis dans un tombeau, qu'il s'était lui-même préparé pendant sa vie, au dehors duquel il avait écrit : Je vous conjure de n'ouvrir ce coffre qu'après la mort de mon frère Thémistagore. 
Le jour de sa mort, plusieurs furent miraculeusement guéris de leurs maladies. Il se faisait un grand concours de peuple au tombeau du saint pour révérer ses saintes reliques, à cause des miracles qui s'y faisaient en si grand nombre, que tous ceux qui étaient malades recouvraient leur santé par son invocation et par son intercession.
Le bruit de ses miracles courant de toutes parts, parvint jusqu'à Paphos, qui est une ville de l'île de Chypre, d'où douze démoniaques partirent ensemble pour visiter ses reliques à Soles.
Comme ils furent à quinze lieues près, saint Auxibe leur apparut et les guérit tous; eux se sentant guéris coururent gaiement au sépulcre du saint, le remerciant de la faveur qu'ils avoient reçue, et racontèrent ce qui leur était arrivé.
D'où vient que depuis ce temps-là- on célèbre la fête de saint Auxibe à Paphos, où il est grandement honoré aussi bien qu'à Soles.
Depuis la mort de saint Anxibe, son tombeau n'a point été ouvert par respect, d'autant que saint Thémistagore, frère de ce saint évêque, ne voulut pas être inhumé en ce même tombeau, parce, disait-il, que son corps n'était pas digne d'être en la compagnie d'un si précieux gage ; à quoi il obligea le clergé par serment ; et aussi à cause que saint Auxibe avait défendu d'ouvrir son tombeau avant la mort de son frère, pour nous faire voir combien nous sommes obligés d'honorer les saints, puisque les saints mêmes font tant d'état des saints.
Sa vie a été premièrement écrite par Métaphraste ; elle a été depuis recueillie par Lipomani et par Surius.
Le Martyrologe romain et le Ménologe des Grecs fout mention de lui le 19e jour de février, comme fait aussi le cardinal Baronius en ses Annotations sur le Martyrologe romain.
Pedro de Ribadeneyra : Les vies des saints et fêtes de toute l'année, Volume 2 ; traduction : Timoléon Vassel de Fautereau.
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