Marie Martin (Sœur Marie du Sacré Cœur)
Sœur aînée et marraine de Thérèse, Marie Martin naît à Alençon le 22 février 1860.
Après l'entrée de Pauline au carmel, Marie s'occupe particulièrement de sa plus jeune sœur.
Entrée au carmel le 15 octobre 1886, elle reste au noviciat en même temps que Thérèse, pendant trois ans.
Elle exerce la charge de procureuse ou réfectorière de 1894 à 1933.
Caractère bien affirmé, indépendant, Sœur Marie du Sacré Cœur a une nature loyale.
Quoique
vive et entière dans ses idées, volontiers taquine, voire contrariante,
elle a un cœur d'or et c'est avec amour qu'elle s'acquitte de son
emploi.
Au
dire de sœur Marie des Anges, c'est une "âme de foi, d'une humilité qui
ne connaît pas la susceptibilité. Jardinière fleuriste, un rustique
tablier de toile, de gros sabots bien ferrés, une bêche, un râteau, une
brouette, des arrosoirs, un sécateur, voilà bien son accoutrement
préféré ; cela ne l'empêche pas de réussir merveilleusement les ouvrages
les plus délicats".
Sœur Marie du Sacré Cœur fut sans conteste l'une de celles qui perçut le mieux le mystère de grâce de Thérèse.
C'est
sur son insistance qu'à la fin de 1894 Mère Agnès commanda à Thérèse
d'écrire les souvenirs de son enfance (Manuscrit A) et c'est à sa
demande qu'en septembre 1896, Thérèse lui adressa une lettre splendide
qui constitue le manuscrit B.
Parlant
de sa filleule qui commençait son noviciat, sœur Marie du Sacré Cœur
affirmera : "Dès les premiers jours, je vis à quel point elle serait
fidèle à la règle".
Contractant,
vers 1920, des rhumatismes articulaires qui finalement la condamnèrent
soit au lit soit à la voiture d'infirme, sœur Marie du Sacré Cœur mourut
le 19 janvier 1940.
Source :
Lettres à sœur Marie du Sacré-Cœur
Lettre Ire.
21 février 1888
MA CHÈRE MARIE,
Si
tu savais le cadeau que papa m'a fait la semaine dernière !... Je crois
que si je te le donnais en cent, et même en mille, tu ne le devinerais
pas. Eh bien ! ce bon petit père m'a acheté un petit agneau d'un jour,
tout blanc et tout frisé. Il m'a dit, en me l'offrant, qu'il voulait,
avant mon entrée au Carmel, me faire le plaisir d'avoir un petit agneau.
Tout le monde était heureux, Céline était ravie. Ce qui surtout m'avait
touchée, c'était la bonté de papa, en me le donnant ; et puis, un
agneau, c'est si symbolique ! il me faisait penser à Pauline.
Jusqu'ici
tout va bien, tout est ravissant ; mais il faut attendre la fin. Déjà,
nous faisions des châteaux en Espagne, nous nous attendions à voir notre
agneau bondir autour de nous, au bout de deux ou trois jours ; mais
hélas ! la jolie petite bête est morte dans l'après-midi. Pauvre petite !
à peine née, elle a souffert, puis elle est morte.
Elle
était si gentille, elle avait l'air si innocent que Céline a fait son
portrait; puis, papa a creusé une fosse dans laquelle on a mis le petit
agneau qui semblait dormir; je n'ai pas voulu que la terre le recouvrît :
nous avons jeté de la neige sur lui et puis tout a été fini...
Tu
ne sais pas, ma chère marraine, combien la mort de ce petit animal m'a
donné à réfléchir. Oh ! oui, sur la terre il ne faut s'attacher à rien,
pas même aux choses les plus innocentes, car elles nous manquent au
moment où nous v pensons le moins. Seul ce qui est éternel peut nous
contenter.
1 Joan., VIII, 10.
Lettre IIe. Pendant sa retraite de Prise d'Habit.
8 janvier 1889.
Ma sœur chérie, votre petit agnelet —
comme vous aimez à m'appeler — voudrait vous emprunter un peu de force
et de courage. Il ne peut rien dire à Jésus ; et surtout. Jésus ne lui
dit absolument rien. Priez pour moi, afin que ma retraite plaise quand
même au Cœur de Celui qui seul lit au plus profond de l'âme !
La vie est pleine de sacrifices, c'est vrai ; mais pourquoi y chercher du bonheur ? N'est-ce pas simplement « une nuit à passer dans une mauvaise hôtellerie », comme le dit notre Mère sainte Thérèse ?
Je
vous avoue que mon cœur a une soit ardente de bonheur ; mais je vois
bien que nulle créature n'est capable de l'étancher ! Au contraire, plus
je boirais à cette source enchanteresse, plus ma soif serait brûlante.
Je connais une source « où, après avoir bu, on a soif encore (1)»
: mais d'une soif très douce, d'une soif que l'on peut toujours
satisfaire : cette source, c'est la souffrance connue de Jésus seul!...
Lettre IIIe.
14 août 1889.
Vous
voulez un mot de votre petit agnelet. Que voulez-vous qu'il vous dise ?
N'a-t-il pas été instruit par vous ? Rappelez-vous le temps où, me
tenant sur vos genoux, vous me parliez du Ciel...
Je
vous entends encore me dire : « Regarde ceux qui veulent s'enrichir,
vois quel mal ils se donnent pour gagner de l'argent ; et nous, ma
petite Thérèse, nous pouvons à chaque instant, et sans prendre tant de
peine, acquérir des trésors pour le Ciel ; nous pouvons ramasser des
diamants comme avec un râteau ! Pour cela, il suffit de faire toutes nos
actions par amour pour le bon Dieu. » Et je m'en allais le cœur rempli
de joie et du désir d'amasser aussi de grands trésors.
1 Eccli., XXXIV, 20.
Le
temps a fui, depuis ces heureux moments écoulés dans notre doux nid.
Jésus est venu nous visiter, il nous a trouvées dignes de passer par le
creuset de la souffrance.
Le bon Dieu nous dit qu'au dernier jour « il essuiera toutes les larmes de nos yeux (1) » ; et, sans doute, plus il y aura de larmes à essuyer, plus la consolation sera grande...
Priez bien, demain, pour la petite fille que vous avez élevée et qui, sans vous, ne serait peut-être pas au Carmel.
Lettre IVe. Pendant sa Retraite de Profession.
4 septembre 1890.
Votre
petite fille n'entend guère les harmonies célestes son voyage de noces
est bien aride ! Son Fiancé, il est vrai, lui fait parcourir des pays
fertiles et magnifiques ; mais la nuit l'empêche de rien admirer et
surtout de jouir de toutes ces merveilles.
Vous
allez peut-être croire qu'elle s'en afflige ? Mais non, au contraire,
elle est heureuse de suivre son Fiancé pour Lui seul et non à cause de
ses dons. Lui seul, il est si beau ! si ravissant ! même quand il se
tait, même quand il se cache !
Comprenez votre petite fille : elle est lasse des consolations de la terre, elle ne veut plus que son Bien-Aimé.
Je
crois que le travail de Jésus, pendant cette retraite, a été de me
détacher de tout ce qui n'est pas lui. Ma seule consolation est une
force et une paix très grandes ; et puis, j'espère être comme Jésus veut
que je sois . c'est ce qui fait tout mon bonheur.
1 Apoc., XXI, 4.
Si
vous saviez combien ma joie est grande de n'en avoir aucune pour faire
plaisir à Jésus ! C'est de la joie raffinée, bien qu'elle ne soit
nullement sentie !
Lettre Ve.
7 septembre 1890.
Demain je serai l’épouse de Jésus, de Celui dont le Visage était caché et que personne n'a reconnu (1) ! Quelle alliance et quel avenir ! Que faire pour le remercier, pour me rendre moins indigne d'une telle faveur ?...
...
Que j'ai soif du Ciel ; de ce séjour bienheureux où l'on aimera Jésus
sans réserve ! Mais il faut souffrir et pleurer pour y arriver ; eh bien
! je veux souffrir tout ce qu'il plaira à mon Bien-Aimé, je veux le
laisser faire de sa petite balle tout ce qu'il désire.
Ma
Marraine chérie, vous me dites que mon petit Jésus est très bien paré
pour le jour de mes noces; vous vous demandez seulement pourquoi je ne
lui ai pas mis les bougies roses neuves ? Les autres m'en disent plus
long à l'âme : elles ont commencé à brûler le jour de ma Prise d'habit,
alors elles étaient fraîches et roses ; papa, qui me les avait données,
était là, et tout était joie ! Mais maintenant, la couleur de rose est
passée..... Y a-t-il encore ici-bas des joies couleur de rose pour votre
petite Thérèse ? Oh ! non, il n'y a plus pour elle que des joies
célestes, des joies où tout le créé, qui n'est rien, fait place à
l'incréé qui est la réalité...
1 Is., LIII, 3.
Lettre VIe.
17 septembre 1896.
Ma
SOEUR bien-aimée, je ne suis pas embarrassée pour vous répondre...
Comment pouvez-vous me demander s'il vous est possible d'aimer le bon
Dieu comme je l'aime ?... Mes désirs du martyre ne sont rien ; je ne
leur dois pas la confiance illimitée que je sens en mon coeur. A vrai
dire, on peut les appeler ces richesses spirituelles qui rendent injuste (1),
lorsqu'on s'y repose avec complaisance, et que l'on croit qu'ils sont
quelque chose de grand... Ces désirs sont une consolation que Jésus
accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne — et ces âmes sont
nombreuses. — Mais, lorsqu'il ne donne pas cette consolation, c'est une
grâce de privilège ; rappelez-vous ces paroles d'un saint religieux : «
Les martyrs ont souffert avec joie et le Roi des Martyrs a souffert avec
tristesse ! » Oui, Jésus a dit : « Mon Père, éloigne de moi ce calice
(2). » Comment pouvez-vous. penser maintenant que mes désirs sont la
marque de mon amour ? Ah ! je sens bien que ce n'est pas cela du tout
qui plaît au bon Dieu dans ma petite âme. Ce qui lui plaît, c'est de me
voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que
j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor, Marraine chérie,
pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre ?
N'êtes-vous
pas prête à souffrir tout ce que le bon Dieu voudra ? Oui, je le sais
bien ; alors, si vous désirez sentir de la joie, avoir de l'attrait pour
la souffrance, c'est donc votre consolation que vous cherchez, puisque,
lorsqu'on aime une chose, la peine disparaît. Je vous assure que si
nous allions ensemble au martyre, vous auriez un grand mérite, et moi je
1 Lucae, XVI, 11. — 2 Ibid., XXII, 42.
n'en aurais aucun, à moins qu'il ne plaise à Jésus de changer mes dispositions.
O
ma sœur chérie, je vous en prie, comprenez-moi ! comprenez que pour
aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible et misérable,
plus on est propre aux opérations de cet amour consumant et
transformant... Le seul désir d'être victime suffit ; mais il faut
consentir à rester toujours pauvre et sans force, et voilà le difficile,
car le véritable pauvre d'esprit, où le trouver ? Il faut le chercher
bien loin (1), dit l'auteur de l'Imitation... Il ne dit pas qu'il faut
le chercher parmi les grandes âmes, mais bien loin, c'est-à-dire dans la
bassesse, dans le néant... Ah ! restons donc bien loin de tout ce qui
brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir; alors nous
serons pauvres d'esprit, et Jésus viendra nous chercher, si loin que
nous soyons ; il nous transformera en flammes d'amour!... Oh! que je
voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens ! C'est la
confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour...
La crainte ne conduit-elle pas à la justice sévère telle qu'on la
représente aux pécheurs? Mais ce n'est pas cette justice que Jésus aura
pour ceux qui l’aiment.
Le
bon Dieu ne vous donnerait pas ce désir d'être possédée par son Amour
miséricordieux, s'il ne vous réservait cette faveur; ou plutôt, il vous
l'a déjà faite, puisque vous êtes toute livrée à Lui, puisque vous
désirez être consumée par Lui, et que jamais le bon Dieu ne donne de
désirs qu'il ne veuille réaliser.
Puisque
nous voyons la voie, courons ensemble. Je le sens, Jésus veut nous
faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel.
1 Imit., I. II, c. XI, 4.
Source :
En savoir plus :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire