Notre-Dame de la Trinité (Cluis-Dessous)

Notre-Dame de la Trinité
(Cluis-Dessous)




Notre-Dame de Guis-Dessous, située à environ quatre cents pas de la petite ville de ce nom, tout près des rives de la Bouzanne, sur l'ancienne paroisse de Cluis-Dessous, que le Concordat a supprimée, remonte, comme Notre-Dame de Gargilesse, au temps des croisades.
Alors, selon quelques uns qui préfèrent une explication naturelle des faits à l'origine miraculeuse que donne une légende d'ailleurs charmante, deux solitaires vinrent se retirer dans ces lieux couverts d'épaisses forêts, pour y mener la vie érémitique.
Ils bâtirent sur le rocher une chapelle à la Mère de Dieu, et bientôt la foule des fidèles vint en pèlerinage à ce sanctuaire.
Les bénédictins de Déols en prirent le service, et établirent même en ce lieu deux prieurés, l'un pour la ville haute, qu'on appelait Cluis-Dessus, l'autre pour la ville basse, qu'on appelait Cluis-Dessous.
Mais au quinzième siècle, Guy III de Chauvigny, baron de Châteauroux et seigneur de Cluis-Dessous, ayant bâti un couvent près de CluisDessous, en vue d'obtenir de Dieu, par cette bonne œuvre, la jouissance plus prompte du ciel pour ses parents morts, y appela les religieux franciscains.
A leur arrivée, les bénédictins de l'abbaye de Déols, alors sur son déclin, se retirèrent, laissant aux nouveaux venus le service du pèlerinage.
Les franciscains élevèrent alors la chapelle actuelle, qui a bien en effet le caractère des églises bâties par les enfants de saint François.
Elle se compose d'une longue nef, sans aucun ornement d'architecture, si ce n'est une belle fenêtre du style flamboyant, qui se trouve au fond du sanctuaire au-dessus de l'autel, et dont les vitraux ont été remplacés par une ignoble maçonnerie.
La Vierge de Cluis, ouvrage du quatorzième siècle, est remarquablement belle ; et, malgré la teinte jaunâtre que lui ont donnée les siècles, on y reconnaît le beau marbre blanc qu'a employé l'artiste.
Elle fut soustraite à l'impiété pendant la révolution ; et, le calme revenu, on la rendit à son sanctuaire.
Elle porte le nom de Notre-Dame de la Trinité, pour rappeler aux fidèles qu'ils doivent rendre gloire au Père par sa Fille bien-aimée, honneur au Fils par sa Mère, amour au Saint-Esprit par son Épouse.
Par suite de cette pensée, le dimanche de la Trinité fut choisi pour la grande fête du pèlerinage ; et, ce jour-là, on portait à la procession les emblèmes de la sainte Trinité.
L'image en bois du Père éternel se conserve encore aujourd'hui ; mais l'image de la Mère de Dieu est la seule qui se porte en procession.
Pendant tout le cours de l'année, des pèlerins viennent souvent prier Notre-Dame de Cluis, surtout pour les maladies qui les affligent, eux ou leurs proches.
Si la personne malade est une jeune fille, ce sont trois jeunes filles qui font le pèlerinage ; si c'est une femme mariée, ce sont trois femmes mariées ; si c'est un jeune homme, ce sont trois jeunes gens ; et ainsi se traduit en action, d'une manière saisissante, le dogme de la fraternité évangélique.
Mais rien n'est beau comme la procession du jour de la Trinité : les pèlerins y sont au nombre de dix à douze mille.
Pendant les trois semaines qui précèdent, ils jeûnent le vendredi, et font quelque aumône à des pauvres encore plus pauvres qu'eux.
Un grand nombre se rend dès la veille ; et à minuit, au moment précis où les anciens bénédictins commençaient à chanter matines, commencent les processions particulières ; les pèlerins s'en vont par bandes de trois en l'honneur du mystère du jour, le front découvert, souvent les pieds nus, toujours le chapelet à la main et dans le plus profond silence.
Ils parcourent les quatorze stations du chemin de la croix disposées par les franciscains sur un espace d'environ deux lieues, dans les rues de Cluis, sur les places publiques, puis au haut des taillis ou collines, et au fond des ravins, en restant environ à chacune un quart d'heure, ou le temps nécessaire pour réciter le chapelet ; et, du matin jusqu'au soir, des centaines de personnes y prient à genoux, dans la poussière ou dans la boue, et baisent la croix de chaque station avant de partir pour la suivante.
De là, ils vont entendre la messe à la chapelle ; et se font réciter l'Évangile par des prêtres qui se succèdent dans cette fonction depuis quatre heures du matin jusqu'au soir.
A onze heures, commence la messe solennelle ; et alors toute l'esplanade, suppléant a l'exiguïté du sanctuaire, se transforme en un vaste temple où la foule recueillie unit ses prières à celles du prêtre.
Puis commence la grande procession des quatorze stations, où des pèlerins en longue tunique blanche, après s'être préparés à leur ministère par la communion, portent quatre à quatre la statue de la Vierge ; la foule la suit recueillie, accompagnée des malades et des enfants qui, ne pouvant faire à pied un trajet de quatre ou cinq heures, suivent à cheval et descendent seulement aux stations pour recevoir la bénédiction.
A chaque détour des rues de la ville, à la bifurcation des chemins, au pied de toutes les croix, le brancard s'arrête ; et les fidèles appliquant aux vêtements de Marie ce que l'hémorroïsse de l'Évangile disait des vêtements de Jésus : « Si je puis seulement toucher le bord de sa robe, » je serai guérie, » passent sous la châsse en touchant ou en faisant toucher quelque objet au manteau de la sainte Vierge.
Pendant le parcours de la procession, on répète souvent ce chant en l'honneur de la sainte Trinité :
0 Rex Angelorum, Deus immortalis, tu semper miserere nobis !
0 roi des Anges, Dieu immortel, ayez pitié de nous !
en l'entremêlant aux litanies de la sainte Vierge ; et, lorsqu'on passe devant le cimetière, on chante le Libera, associant ainsi, dans un même acte liturgique, le culte de Dieu, le culte de Marie, et la compassion secourable pour les âmes du purgatoire ; puis on rentre à l'église, où les pèlerins qui n'ont pu passer sous la châsse dans le trajet y suppléent en liberté.
Telle est la dévotion a Notre-Dame de Cluis-Dessous ; et elle s'est toujours maintenue, à ce point, que même dans les plus mauvais jours de la révolution, on ne cessa pas de faire la procession nocturne.
Ainsi, grâce à la religion, une pauvre église champêtre jouit d'une gloire immortelle, tandis qu'à ses côtés la demeure seigneuriale des Montpensier et sa superbe forteresse gisent par terre dans l'oubli, ruines désertes et sans honneur ; tant les grandeurs de la terre sont périssables, tant les choses de Dieu sont plus solides et plus durables !



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