Herméneutique

Herméneutique


L'herméneutique (du grec hermeneutikè, έρμηνευτική [τέχνη], art d'interpréter, "hermeneuein" signifie d'abord « parler », « s'exprimer » et du nom du dieu grec Hermès, messager des dieux et interprète de leurs ordres) est la théorie de la lecture, de l'explication et de l'interprétation des textes.

L'herméneutique ancienne est formée de deux approches complètement différentes : la logique d'origine aristotélicienne (à partir du Peri hermeneia ou De l'interprétation d'Aristote) d'une part, l'interprétation des textes religieux (orphisme ou exégèse biblique par exemple) et l'hermétisme d'autre part.

L'herméneutique moderne se décline en sous-disciplines : herméneutique « littéraire » (interprétation des textes littéraires et poétiques), « juridique » (interprétation des textes de lois), « théologique » (interprétation des textes sacrés ; on parle aussi d'exégèse), « historique » (interprétation des témoignages et des discours sur l'histoire), et « philosophique » (analyse des fondements de l'interprétation en général, et interprétation des textes proprement philosophiques).

La psychanalyse est vue comme un exemple d'herméneutique (interprétation des symptômes du malade) par Paul Ricœur.
La « généalogie » nietzschéenne, qui interprète les jugements de valeur (vrai/faux, bien/mal, beau/laid) à partir de l'histoire et de la physiologie (état de santé du corps), est une herméneutique pour Michel Foucault.

 

Christianisme

La tradition chrétienne reprit la doctrine des quatre sens de l'Écriture en l'adaptant au christianisme.

Origène au IIIe siècle l'appliqua à la prière (Lectio divina), puis Jean Cassien (dont s'inspire la fameuse règle de saint Benoît) la théorisa en l'introduisant dans les monastères.

La doctrine des quatre sens de l'Ecriture eut un succès important pendant tout le Moyen Âge : le sens allégorique, à la suite de Prudence, inspira une grande partie de la littérature médiévale profane. Elle joua un rôle important à la naissance de la scolastique. Hugues de Saint-Victor la connaissait (De Scripturis).

Pour le philosophe et théologien catholique Xavier Tilliette, « la Bible est un ouvrage complexe et même scellé. Le Livre des livres est un livre de livres. Il est donc susceptible d'interprétation, il ne va pas sans une herméneutique. La Parole de Dieu […] s'est faite parole humaine, astreinte à la compréhension. Il n'y a pas d'acheminement direct à la Bible, il faut toujours une médiation au moins implicite : traduction, exégèse, histoire, genres littéraires, étude des styles, typologie, connaissance de la Tradition, lectio divina »…

 

Quatre sens de l'Écriture


En herméneutique judaïque et chrétienne (école scolastique), la doctrine des quatre sens de l'Écriture désigne les quatre sens selon lesquels on peut interpréter les Écritures :
  • Peshat, Remez, Drash, Sod (dans la tradition judaïque) ;
  • historique, allégorique, tropologique, et anagogique (dans la tradition chrétienne).

 

Transmission au christianisme

Selon Henri de Lubac, Origène (185-254), formé à l'école théologique d'Alexandrie, a été le premier à formuler la doctrine des quatre sens de l'Écriture dans la tradition chrétienne.

Ces sens de l'Écriture servaient à interpréter l'Écriture lors de la prière, comme l'indiquait Origène en 238 dans une lettre en grec à son disciple Grégoire le Thaumaturge qui se préparait à partir en mission d’évangélisation. Il l’exhorte à se consacrer à l’étude des Écritures par la Lectio divina :

« Consacre-toi à la lecture des Écritures divines. Applique-toi à cela avec persévérance… En te consacrant ainsi à la lectio divina cherche avec droiture et une confiance inébranlable en Dieu le sens des Écritures divines, qui y est renfermé en abondance. »

Origène utilise généralement trois sens dans ses commentaires d'Écriture : littéral, moral et mystique, qui correspondent à la trichotomie humaine "corps, âme et esprit" (De principiis, IV, 11), quoiqu'il suive souvent l'ordre corps-esprit-âme, donc littéral-mystique-moral. Soit le passage de l'Exode (I, 6-7) qui dit : "Joseph mourut (...) et les fils d'Israël grandirent et se multiplièrent." Le sens littéral (charnel, historique) est : Joseph est mort, puis les fidèles devinrent une grande multitude ; le sens mystique (spirituel, allégorique) est : Joseph annonce Jésus, mort pour que l'Église s'étende sur la Terre ; enfin, le sens moral (qui édifie les âmes) est : la mort du Christ se reproduit dans l'âme de chaque chrétien dont elle fait proliférer la foi (Homélies sur l'Exode, I, 4).

Jean Cassien, cité par K. Froehkich, a systématisé les quatre sens au Ve siècle. Il indique, dans sa XIVe Conférence (§ 8) :
« Les quatre figures se trouveront réunies, si bien que la même Jérusalem pourra revêtir quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Hébreux ; au sens allégorique, l’Église du Christ ; au sens anagogique, la cité céleste, 'qui est notre mère à tous' ; au sens tropologique, l’âme humaine ».

L'usage de la théorie des quatre sens a été repris par Jérôme, Augustin, Bède le Vénérable, Scot Erigène, Hugues de Saint-Victor et Richard de Saint-Victor, Alain de Lille, Bonaventure, Thomas d'Aquin 3. Thomas d'Aquin ne présente pas une série de quatre sens, mais une dualité, la lettre et l'esprit, lequel esprit se divise en allégorie, tropologie, anagogie. Bernard de Clairvaux les utilisait dans ses Sermons sur le Cantique .
Les quatre sens ont été formulés au Moyen Âge dans un fameux distique latin : littera gesta docet, quid credas allegoria, moralis quid agas, quo tendas anagogia (la lettre enseigne les faits, l'allégorie ce que tu dois croire, la morale ce que tu dois faire, l'anagogie ce que tu dois viser).

Il s'est particulièrement développé lors de la Renaissance du XIIe siècle, avec l'introduction de la philosophie d'Aristote en occident, la naissance de la théologie scolastique (Abélard et Hugues de Saint-Victor), et la naissance des universités. C'est au XIIe siècle que la doctrine des quatre sens de l’Écriture, qui préconise une interprétation plurielle du texte de la Bible, atteint son apogée.

 

Lectio divina et interprétation selon les quatre sens

Article détaillé : Lectio divina.
Les quatre sens correspondent à la méthode traditionnelle de lecture des Saintes Écritures, lors de la Lectio Divina (voir article de Zénith sur les réflexions d'Enzo Bianchi, fondateur du monastère de Bose en Italie, lien en italien).

 

Sens littéral

Ce premier sens est quelquefois appelé aussi sens historique.

 

Description

Le sens littéral est celui qui est issu de la compréhension linguistique de l’énoncé.
Selon Thomas d'Aquin, le sens littéral est celui que l'auteur entend signifier. Le recours à l'exégèse est donc indispensable pour tenter de le découvrir.

 

Subdivisions

Thomas d'Aquin distingue à l'intérieur du sens littéral :
  • un sens parabolique (interprétation à partir d'une parabole),
  • un sens étiologique (lorsqu’un énoncé a été dit en fonction d’une condition particulière d’énonciation)
  • et un sens analogique (comparaison de divers passages analogues afin de corroborer leurs suggestions).

 

Sens spirituels

Les trois autres sens sont regroupés sous l'expression sens spirituels.

 

Sens allégorique

Vient du grec allos, autre, et agoreuein, dire: l'allégorie en énonçant une chose en dit aussi une autre. Ce procédé littéraire était connu aussi dans la Grèce Antique. Le sens allégorique peut être l’interprétation d’un passage de l’Ancien Testament (Premier Testament) en fonction de l’Incarnation du Christ, ou, si l'on préfère, il peut être l’explication des événements de l’Ancien Testament par les événements de la vie du Christ décrits dans le Nouveau Testament: on parle alors de typologie, qui est un cas particulier d'allégorie.
Exemple : guérison d'un lépreux (Lc 5. 12-16)
Dans les pays développés, la guérison d'un lépreux ne peut être interprétée selon le sens littéral, puisque cette maladie a quasiment disparu de ces pays. En revanche, il est possible d'en faire une interprétation selon le sens allégorique :
  • dans le Premier Testament, les lépreux étaient tenus à l'écart de la société (Lv 14. 1-57). Il est donc possible de faire la relation entre le Premier et le Nouveau Testament.
  • Le lépreux symbolise aujourd'hui l'exclusion sociale.
Voir les différentes interprétations faites de ce passage, et notamment l'interprétation de Bède le Vénérable, selon qui, dans le sens allégorique, ce lépreux représente le genre humain languissant et affaibli par suite de ses péchés ; et tout couvert de lèpre ; « car tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu » (Rm 3) : Site Clerus.org.

 

Sens tropologique

Ce sens est quelquefois appelé aussi sens moral.
Le sens tropologique cherche dans le texte des figures, des vices ou vertus, des passions ou des étapes que l'esprit humain doit parcourir dans son ascension vers Dieu.
Ce sens concerne le présent.

 

Sens anagogique

Article détaillé : Anagogique.
Le sens anagogique est obtenu par l'interprétation des Évangiles, afin de donner une idée des réalités dernières qui deviendront visibles à la fin des temps.
Ce sens concerne l'avenir.








 

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