L'adoration eucharistique Saint Benoît-Joseph Labre

L'adoration eucharistique
Saint Benoît-Joseph Labre


Préparation du bienheureux Benoit-Joseph Labre à la sainte communion.
Si l'amour donnait à Benoît tant de goût pour s'entretenir avec Jésus-Christ dans le saint Sacrement, combien plus devait-il désirer de s'unir à lui pour demeurer en lui, selon la promesse faite à ceux qui se nourrissent de sa chair et de son sang ? Ce désir était très-vif assurément, mais combattu par son extrême humilité qui lui faisait craindre d'être indigne d'une telle faveur.
Sans cette crainte, nous ne doutons pas que ses communions n'eussent été journalières.
Dès ses jeunes années, il avait éprouvé ce même combat entre la crainte et le désir.
Toutefois, il ne s'éloigna de la sainte Table durant quelques semaines, qu'à l'époque de ses séjours en communauté, où Dieu qui ne l'appelait pas à la vie cénobitique permit qu'il fût livré à des scrupules extraordinaires : il s'exagérait les qualités d'une véritable contrition, et se figurait qu'elle lui manquait, tant qu'elle ne s'annonçait point par les larmes et autres signes sensibles.
Mais aussitôt qu'il fut dans la vie où Dieu le voulait, la bonté divine le délivra de cette crainte excessive de manger sacrilégement le pain céleste, et tout en s'en reconnaissant très-indigne, il ne laissa pas de le recevoir très fréquemment partout où il séjourna.
A la vérité, il confessa souvent ses appréhensions de ne pas être assez bien disposé, surtout dans ses moments d'aridité et de désolation d'esprit : mais dès que ses confesseurs avaient parlé, il se réglait littéralement sur leurs prescriptions.
A Rome, il changeait souvent d'église pour faire ses communions, afin qu'on n'en remarquât point la fréquence, et aussi selon les divers motifs de dévotion qu'il se proposait.
Quand il communiait plusieurs fois dans l'intervalle de deux confessions, c'était toujours d'après un ordre formel de ses confesseurs et malgré la mauvaise opinion qu'il avait de lui-même. C'était alors le glaive de l'autorité qui tranchait le débat entre deux vertus qui lui étaient également précieuses, l'humilité et la dévotion. Toutefois la fréquence de ses communions n'ôtait rien à leur ferveur, grâce à sa méthode excellente de préparation.
Et d'abord la confession préliminaire n'était point pour lui une formalité. Malgré l'exactitude de son examen de conscience journalier, il le renouvelait avec le plus grand soin la veille de ses confessions. Puis se regardant comme un grand coupable, il ne tarissait pas en actes de repentir, proportionnés à l'idée qu'il avait de l'amabilité divine, sans omettre la résolution de se réformer, c'est-à-dire de croître en ferveur et en vertu. Cela fait, il se présentait au confessionnal, en se plaçant toujours au dernier rang, et attendant des matinées entières pour laisser passer tous les autres avant lui. C'était un premier sacrifice qu'il offrait au Seigneur en expiation de ses fautes.
Le voilà aux genoux du confesseur. Il tremble de la tête aux pieds, et un ministre du Sacrement, qui ne le connaît pas encore, doit penser qu'il est chargé de crimes énormes. Bientôt le criminel s'accuse d'ingratitude pour les nombreux bienfaits qu'il a reçus de son Dieu ; d'un défaut de correspondance aux grâces qui lui sont prodiguées ; de la froideur de son cœur pour un Sauveur qui l'a tant aimé ; de ses infidélités dans le service d'un si grand Maître, et d'autres généralités semblables. Mais quel précepte a-t-il enfreint ? quelle obligation a-t-il violée ? quelle vertu a-t-il offensée ? où sont les véritables manquements ? Il ne peut en accuser, il a scruté les plus secrets replis de sa conscience, sans en découvrir aucun. Le ministre de Dieu, stupéfait, tente alors de trouver une matière à la sentence d'absolution ; il remonte jusqu'à l'âge d'innocence, ne rencontre pas une faute commise avec délibération, et reste convaincu de la pureté de cette âme, depuis qu'elle a revêtu la blancheur baptismale. Il voit devant lui un prédestiné, un élu, un saint d'élite. S'agit-il de renouveler la contrition qui doit se combiner avec la parole sacramentelle, le repentir n'en éclate pas moins avec une nouvelle force.
A entendre ce pénitent, il est cet enfant prodigue qui vient demander pardon de ses égarements à son père, assez bon pour l'accueillir à son retour ; il pleure ses péchés comme Madeleine ; il n'a pas assez d'expressions pour déplorer ses iniquités, et pour s'engager à mieux servir son bon Maître à l'avenir. A ce spectacle, le prêtre ne peut que se confondre lui-même d'être loin de sentir la grièveté du péché aussi vivement que le juste, qui s'annonçait un si grand pécheur.
Au sortir du tribunal de la pénitence, il court se jeter au pied du tabernacle, et s'imaginant être un de ces lépreux guéris par Jésus-Christ, il le remercie avec effusion de cœur, pour l'institution du Sacrement qui opère la guérison de la lèpre spirituelle, et spécialement pour l'application qui vient de lui en être faite.
Il réitère ses actes de repentir et ses résolutions d'amendements, s'acquitte sur-le-champ de la dette satisfactoire imposée par le juge, et s'apprête à mener une vie encore plus fervente Alors seulement notre vénérable commençait sa préparation prochaine à la communion du lendemain, pour la faire en état de grâce plus parfaite et, par conséquent, avec plus de fruit. Alors, commençaient de longues méditations, en s'aidant du P. Louis de Grenade, sur l'amour immense qui a imaginé et mis à exécution cette institution divine, dans laquelle Jésus se donne tout entier en nourriture à ses fidèles. Alors il passait une bonne partie de la journée en actes multipliés de foi, d'espérance, d'adoration, de respect et d'amour.
Quand il s'approchait de la sainte Table, dit Marconi, il tâchait de le faire avec la plus grande pureté possible de conscience. Il avait pour habitude de faire sa confession la veille, et de renvoyer sa communion au lendemain pour se mieux préparer. Je m'en aperçus lorsque lui ayant dit qu'il pouvait communier, il me répondit : « Je le ferai demain. » Comme il s'agissait d'un Français que je ne connaissais pas encore à fond, il me vint dans l'esprit la crainte qu'il ne fut imbu de ces opinions rigoristes qui exigent pour la communion le pur amour, tel qu'il ne peut se trouver dans un homme mortel, et autant pour m'en éclaircir que pour éprouver son obéissance, je lui prescrivis absolument d'aller communier le matin même. Je vis qu'il soumettait ses répugnances à ma volonté, et qu'il devinait peut-être mon motif, car il me fit une inclination de tête et dit : « Si vous le voulez, je le ferai ici même. »
Nous ne détaillerons pas les actes par lesquels le serviteur de Dieu cherchait à perfectionner ses dispositions, et nous ferons mention de deux seulement sur lesquels il insistait davantage : l'humilité et le désir. Tout ce que nous avons dit des fondements de son humilité lui revenait à l'esprit, en pensant que le Dieu de majesté s'abaissait jusqu'à entrer dans le sein d'un homme de rien, d'une misérable créature, et surtout d'un vil pécheur, d'un ingrat, d'un audacieux, d'un rebelle, qui ne méritait autre chose que des châtiments. Que de fois il répétait l'aveu du centurion, en s'abîmant dans son propre néant !
Il fallait que son humilité fût bien puissante pour le portera retarder d'ordinaire sa communion jusqu'au lendemain : car le désir qu'il en avait surpasse tout ce qu'il est possible d'imaginer. En réfléchissant à l'amour immense de Jésus-Christ, qui lui fit instituer ce divin sacrement, afin de s'unir intimement à ses fidèles, il désirait ardemment répondre à tant d'amour. On en pourra juger par les aspirations brûlantes qui lui échappaient, dit le P. Temple : «Mon Dieu ! répétait-il, mon souverain bien,., mon tout... seul et unique objet de mou cœur... Ah ! venez... je vous désire... je vous attends... je soupire après vous... le moindre délai me paraît un retard de mille ans... Venez, Seigneur Jésus... venez sans différer. » Il avait véritablement faim et soif au plus haut degré de cet aliment et de ce breuvage célestes ; faim et soif comparables à celles du naufragé, privé de nourriture et de boisson depuis longtemps. Les jours de communion étaient ses jours de délices et de jouissances. Il aurait voulu avoir mille cœurs pour les offrir au divin Sauveur : du moins il cherchait à modeler le sien sur celui de Jésus ; il travaillait à en exclure tout ce qui n'était pas Jésus, afin que Jésus seul y régnât en maître souverain. Et si la pensée de son indignité lui revenait à l'esprit, il tâchait d'y suppléer par l'offrande des affections avec lesquelles l'avaient reçu Marie sa sainte mère, les apôtres et tous les saints.
Il serait difficile de décrire les dispositions intérieures et extérieures qui accompagnaient la réception même de l'hostie : quelque part qu'il fût, tous les assistants en étaient frappés et lui voyaient la face tout humide de larmes. Il n'appartenait plus à la terre ; c'était un séraphin descendu de l'empyrée. Ce qui surprenait et émouvait les prêtres qui lui donnaient la communion, c'est, au dire de presque tous, un je ne sais quoi dans sa ferveur, qui ravissait, transportait, consolait. Carezani lui-même, voyant Benoît s'approcher de la sainte Table à la chapelle Borghèze, eut un instant la pensée qu'il manquait de convenance en se présentant ainsi déguenillé ; mais à peine eut-il jeté les yeux sur lui, que la ferveur qui rayonnait sur son visage dissipa tout à coup ce jugement. L'impression n'était pas moins extraordinaire sur les fidèles qui se rencontraient à ses côtés devant la Table sainte. Madeleine Cecchini l'expliquait ainsi : «Je voyais, quand il était au moment de communier, une telle ardeur, une telle aspiration, qu'il semblait vouloir s'élancer pour recevoir plus tôt le pain eucharistique. Je n'ai jamais rien vu, et qui sait si je verrai jamais rien de semblable ? Et son action de grâces !... rien que d'y penser, je me sens émue et attendrie. »
Madeleine Weiller-Tarani, l'ayant eu par hasard pour voisin à la Table de communion, priait Dieu de lui donner un peu de la ferveur qu'elle apercevait dans ce pauvre. Quoique son recueillement fût toujours singulier, elle y reconnaissait néanmoins quelque chose d'extraordinaire après la communion, et « je puis l'attester, dit-elle, par celle qu'il fit à côté de moi, et que je pus mieux observer. » Aussi elle conçut pour lui dès lors, un respect si dominant qu'elle ne put jamais se résoudre à lui donner l'aumône, quoiqu'elle eût eu parfois la pièce en main pour la lui offrir. L'ayant vu dans les derniers jours assis sur un banc, elle quitta sa chaise pour aller s'asseoir à côté de lui, sans être retenue par son étrange malpropreté, mais persuadée, comme une autre Chananéenne, qu'il devait sortir de lui une vertu sanctifiante qui se répandait autour de lui.
C'est surtout par le P. Temple que nous savons comment il s'occupait dans son action de grâces. Il s'appliquait à raviver sa foi à la présence réelle de Celui qu'il possédait ; à l'adorer en union avec les anges et avec la Reine des cieux ; à s'enfoncer encore davantage dans sou propre néant ; à faire en échange, à son bienfaiteur, les offres les plus généreuses, et enfin, à solliciter certaines grâces qui ne sont ambitionnées que par les âmes déjà parvenues au faîte de la perfection. « Seigneur Jésus, faites que je me mortifie et que je vive en vous seul ; que tout ce qui m'arrivera, je l'accepte de votre main; que je sois mon propre persécuteur; que je vous suive, et que je souhaite toujours davantage de vous suivre; que je me fuie sans cesse, pour me réfugier en vous ; que je me rende digne de vous avoir pour protecteur et défenseur ; que je craigne pour moi, et que ce soit vous que je craigne, afin d'être au nombre de vos élus ; que je me défie de moi-même, et que je nie confie en vous ; que je sois prêt à obéir pour l'amour de vous ; que je ne m'affectionne à rien qu'à vous seul ; que j'aie les yeux ouverts sur moi-même pour diriger mon amour vers vous ; appelez-moi à vous, pour que je vous voie dans le ciel et que je jouisse de votre amour pour l'éternité. » Ces affections suffisent pour faire concevoir l'élévation des sentiments qui remplissaient son âme après la sainte communion.
Son directeur reconnut que le désir de la communion fréquente venait de celui d'être uni à Jésus-Christ, de cœur et de volonté. Sur ce point particulier, il ne voulait avoir d'autre cœur que le Cœur même de Jésus. Par cette identité d'affection, il entendait correspondre à l'invitation contenue dans ces paroles : « Celui qui mange ma chair demeure en moi et moi en lui. » Avec de tels sentiments, on peut juger aussi quels profits spirituels il retirait de ses communions, suivant le principe que les sacrements, outre leur effet essentiel, opèrent encore à proportion des dispositions qu'on y apporte. De là venaient les progrès quotidiens qu'il faisait dans la perfection. Il n'y a pas de doute que les vertus surhumaines de Benoît Labre n'aient été le fruit de ses communions ferventes.



Saint Benoît-Joseph Labre. Pèlerin, mendiant († 1783)

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